INTERVIEW – Camille Benyamina: « Je prépare une BD sur l’homme invisible »

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20 juin 2015 par matvano

(c) 2015 Yves Declercq

Après une première collaboration très réussie sur l’album Violette Nozière vilaine chérie, le scénariste Eddy Simon et la dessinatrice Camille Benyamina remettent le couvert en adaptant « Chaque soir à onze heures », le roman de Malika Ferdjoukh. Cette histoire, qui mêle polar, romantique et fantastique, permet une nouvelle fois à la jeune Française Camille Benyamina de prouver toute l’étendue de son talent. Habitant Montréal depuis plusieurs années, elle était de passage à Bruxelles il y a quelques jours pour la sortie en librairie de « Chaque soir à onze heures ». Une belle occasion de lui poser quelques questions.

Vous travaillez à la fois dans la BD et dans le jeu vidéo. Aujourd’hui, vous vous sentez prête à basculer complètement dans le monde de la BD?

J’aimerais bien, mais ce n’est pas encore possible pour moi de vivre de la BD. Si je continue à travailler dans le jeu vidéo, c’est avant tout pour des raisons alimentaires. C’est d’ailleurs pour travailler dans ce domaine que je suis venue m’établir à Montréal, qui est un peu le quartier général des boîtes de jeux vidéos. J’avais démarré chez Electronic Arts, et maintenant je participe à la conception de jeux pour applications mobiles et pour Facebook dans un autre studio. Ce travail m’occupe évidemment à temps plein pendant la journée. Mais la BD aussi est un temps plein, puisque j’y travaille 4-5 heures tous les soirs et 20 à 30 heures tous les week-ends. Donc, en fait, j’ai deux temps pleins! (rires)

« Violette Nozière », votre première BD, a été très bien accueillie en Europe. A-t-elle eu du succès aussi à Montréal et au Québec?

Disons que le monde de la bande dessinée commence seulement à se développer petit à petit à Montréal. La ville accueille notamment un festival de la BD depuis 4 ans, auquel j’ai eu la chance de participer. Mais le public de bédéphiles au Québec reste beaucoup plus limité qu’en Europe. Et les lecteurs québecois connaissent avant tout les auteurs québecois. Je me sens donc toujours un peu comme une étrangère en tant que bédéiste. Mais c’est normal, car après tout, je débute dans le métier et je ne sors pas tellement de chez moi. Pour avancer sur mes projets, je suis obligée d’avoir un rythme très soutenu… et donc de m’enfermer dans ma grotte!

Avez-vous travaillé différemment pour ce 2ème album?

Oui, un peu. « Violette Nozière » était plus dans l’estompe, alors que pour cet album-ci je voulais quelque chose de plus haché et plus moderne. J’ai essayé de travailler davantage sur les mouvements et les attitudes des personnages. Avec comme objectif d’arriver à quelque chose de plus vivant. J’ai vraiment essayé de travailler ce côté animé.

C’est le jeu vidéo qui vous apporte cette volonté de mouvement?

Non, je ne pense pas, car les jeux vidéo sur lesquels je travaille ne sont pas très créatifs. Par contre, ils m’apportent la technique et la rapidité, notamment dans l’utilisation des outils numériques. Mais le jeu vidéo ne m’apporte clairement pas la même dimension créative que la bande dessinée. Si j’avais à choisir entre les deux, j’opterais certainement pour le métier de bédéiste. Je ne suis d’ailleurs pas du tout accro aux jeux vidéo.

Comment le projet d’adaptation de « Chaque soir à onze heures » est-il né?

C’est Casterman qui nous a proposé l’adaptation de ce roman. Je dois bien reconnaître que je ne connaissais ni ce livre ni l’univers de Malika Ferdjoukh. Mais j’ai vraiment adoré son style: elle a son monde à elle, avec à la fois une touche d’humour et des personnages atypiques. Quand j’ai lu son roman, cela m’a fait repenser à ce que je lisais quand j’étais ado. C’est sans doute pour ça aussi que j’ai beaucoup aimé.

Avez-vous pris contact avec Malika Ferdjoukh avant de vous lancer dans l’adaptation BD de son roman?

Oui, car je voulais vraiment respecter son univers. Dès le début du projet, je lui ai envoyé toutes mes recherches graphiques pour les personnages, ainsi que les premières planches, afin de la rassurer et lui montrer que l’objectif n’était pas du tout de faire quelque chose de complètement différent de son roman. Elle a tout de suite validé, ce qui était génial.

Apparemment, elle a été séduite par votre version BD de son livre. Elle dit de vous que vous avez un talent « bouleversant »…

Effectivement, elle est très élogieuse à mon égard. En réalité, j’ai découvert il y a très peu de temps à quel point elle avait apprécié l’album et j’ai été vraiment très touchée. Je ne m’attendais pas à autant de compliments. Cela me fait très plaisir venant d’elle, parce que c’est vraiment une femme exceptionnelle.

Chaque soir à onze heures

Quel est votre personnage préféré de « Chaque soir à onze heures »?

Difficile à dire, parce qu’on s’attache à tous les personnages. Et puis les personnages, c’est ce que je préfère faire. Dans « Chaque soir à onze heures », j’adore le côté un peu sauvageonne de Willa. Elle ne se laisse pas faire, mais en même temps elle ressemble un peu à un moineau perdu. J’aime aussi Marni, car elle est pétillante malgré son handicap. On s’attache forcément à elle parce qu’elle est adorable et ultra-sensible. Mais mon personnage préféré, c’est sans doute Fran. J’ai adoré la dessiner parce qu’elle est « too much »: elle en rajoute des tonnes, elle déborde de partout. Je me suis vraiment bien amusée à jouer avec elle, et notamment à dessiner son air coquin à chaque fois qu’elle voit son prof.

Vous êtes-vous inspirée d’un endroit réel pour imaginer la Villa des Brouillards, la maison un peu mystérieuse où se déroule une partie de l’action du livre?

Malika m’a envoyé beaucoup de références de vieilles maisons dans Paris, et elle m’a parlé de certains films. Evidemment, en lisant le roman, on s’imagine tout de suite un manoir, même si ce genre de lieu est forcément un peu fantasmé dans Paris. Aux alentours de Paris, il y a sans doute des maisons de ce type, mais dans Paris même, je ne pense pas. Il fallait avant tout que cette Villa soit un lieu mystérieux. Pour y arriver, j’en ai donc rajouté un peu, en m’inspirant de beaucoup de vieux manoirs.

Du moment qu’on ne me demande pas de dessiner des vaisseaux spatiaux, je suis contente!

Cela vous parle, ce genre d’ambiance un peu fantastique?

J’adore tout ce qui est un peu sombre et mystérieux, avec un côté un peu Hitchcockien. Mais j’aime aussi les histoires d’amour. En fait, je ne suis pas difficile. Du moment qu’on ne me demande pas de dessiner des vaisseaux spatiaux, je suis contente!

Est-ce que ça vous a plu de pouvoir dessiner une histoire plus contemporaine, après l’ambiance années 30 de Violette Nozière?

Ce qui m’a surtout plu, c’est que pour cette BD, je ne risquais plus de faire d’anachronismes. Quand vous faites une BD d’époque, il faut faire beaucoup de recherches pour savoir si tel ou tel objet existait à l’époque, ou si tel ou tel bâtiment était bel et bien comme ça dans ces années-là. Dès que ça concerne une autre époque, il faut avoir un dossier béton et être sûr de ne pas se tromper.

Eddy Simon, votre scénariste, vient également d’adapter le roman « Confidences à Allah » en BD, avec la dessinatrice Marie Avril. Vous vous connaissez?

Marie Avril a fait la même école que moi: l’école Emile Cohl à Lyon. Elle était dans la promo juste au-dessus de moi, dans la même année qu’Anaïs Depommier, qui a elle aussi sorti sa première BD cette année, une biographie de Sartre. Sans oublier Maureen Wingrove, alias Diglee, une autre ancienne élève de cette école. On peut donc dire qu’il y a aujourd’hui une filière Emile Cohl. C’est cette école qui m’a vraiment appris les bases du dessin et de l’illustration. Sans elle, j’aurais sans doute stagné. A l’école Emile Cohl, j’ai notamment eu des cours de BD donnés par Olivier et Jérôme Jouvray, deux très bons profs.

Y a-t-il certains auteurs qui vous inspirent?

Il y en a énormément. Lorsque j’étais enfant, c’étaient surtout les auteurs de la bibliothèque de mon père: Franquin, Tardi, Gotlib… J’aimais bien aussi Achille Talon et Lucien. Plus tard, quand j’ai pu choisir mes BD, j’ai adoré la série des « Marion Duval », créée par Yvan Pommaux, dont je reste une grande fan. Ces dernières années, j’ai beaucoup aimé ce qu’a fait Cyril Pedrosa, ainsi que la série Magasin Général de Tripp et Loisel. Mais aussi « La princesse des glaces » et « Le prédicateur » de ma copine Léonie Bischoff. Je lis beaucoup de BD, surtout dans les transports en commun.

Quel sera votre prochain projet?

Mon prochain album se fera avec une scénariste, Véro Cazot. Je l’avais rencontrée à Angoulême et elle m’a envoyé son scénario, pour lequel j’ai eu un énorme coup de coeur. C’est une histoire originale et contemporaine sur un homme qui passe tellement inaperçu que petit à petit, il s’efface aux yeux des gens et devient invisible. C’est aussi l’histoire d’une jeune femme peu sûre d’elle, qui n’arrive pas à s’investir dans des relations personnelles et qui souffre d’hallucinations. Ces deux personnages vont se croiser sans le savoir. C’est une superbe histoire, mais aussi un très long projet, puisque cette BD va faire 145 pages. J’ai deux ans pour la terminer. Pour l’instant, j’ai fait une dizaine de pages. J’ai hâte de continuer.

Le scénario, est-ce quelque chose qui vous tente aussi?

Oui, j’aimerais beaucoup me lancer là-dedans, mais ce n’est pas une obsession. J’écris un peu pour moi de temps en temps. Peut-être ferai-je un scénario un jour, mais sans aucune obligation pour le moment. Tant que j’ai des scénaristes comme Véro Cazot qui me proposent des pépites, rien ne presse!

Chaque soir àonze heures (extrait)

3 réflexions sur “INTERVIEW – Camille Benyamina: « Je prépare une BD sur l’homme invisible »

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