Il ne faut pas confondre un singe et un Français
227 janvier 2013 par matvano
Le singe de Hartlepool (Wilfrid Lupano – Jérémie Moreau – Editions Delcourt)
En 1814, en pleine époque napoléonienne, un navire de guerre français fait naufrage tout près des côtes anglaises. Plus précisément près de Hartlepool, un village peuplé d’habitants braillards et agressifs, qui ne savent vraiment pas grand-chose sur quoi que ce soit, si ce n’est qu’ils détestent plus que tout les Français (mais ils détestent aussi les « peigne-culs » des villages voisins). Lorsqu’ils découvrent un survivant du naufrage sur la plage, l’occasion est donc trop belle de pouvoir enfin s’acharner sur un représentant de ce peuple haï. Et tant pis s’il s’agit en réalité d’un singe… Pour les habitants de Hartlepool, qui n’ont jamais vu un Français en vrai, il n’y a pas de doute: ce petit être poilu habillé en soldat français est bel et bien un Français! On ne comprend pas ce qu’il dit? C’est normal, le Français est une langue « très moche ». Il mord? C’est normal, les Français sont « des catholiques, des bêtes ». Son corps est recouvert de poils? « Les Français sont laids, très laids, et leur corps est couvert de poils rêches et graisseux ». Ses pieds ressemblent à des mains? « La plupart du temps, leurs pieds ressemblent à des sabots fourchus. Mais il arrive effectivement qu’ils ressemblent à des mains ». Le vieux Patterson, dont les deux jambes ont été arrachées par un canon français au siège de Québec en 1759, finit de convaincre tous les habitants de Hartlepool qu’ils ont bel et bien capturé un Français. Seule sa petite-fille a des doutes. « Grand-père, comment peux-tu l’affirmer, tu ne vois plus rien », lui demande-t-elle. « Pas besoin de voir, je les reconnais à l’odeur, moi, les Français! Les Français, ça pue! », répond-il, sûr de lui. Or, si un soldat français se retrouve à Hartlepool, cela veut bien sûr dire que Napoléon estime que ce village est le « lieu rêvé pour que ces fourbes de Français débarquent subrepticement pour prendre Londres à revers ». Ni une ni deux, le maire aubergiste du village décide donc d’organiser un simulacre de procès pour condamner à mort ce pauvre singe qui n’a rien demandé. S’il est là, lui, c’est tout simplement parce qu’il a été recueilli par un capitaine français à l’époque où celui-ci faisait du commerce d’ébène (c’est-à-dire d’esclaves) en Afrique. Comble d’ironie, celui-ci a baptisé le singe Nelson et il est mort de rire à chaque fois qu’il le voit jouer au soldat. C’est pour ça qu’il l’a revêtu d’habits militaires. Un capitaine qui, dans le registre du racisme bête et méchant, n’a rien à envier aux habitants de Hartlepool. « Comment notre Seigneur tout-puissant a-t-il pu se laisser aller à créer l’Angleterre? », se demande-t-il très sérieusement. « Même les singes sont plus évolués. En tout cas, ils sont plus marrants ». Faisant partie de la sélection officielle du Festival d’Angoulême 2013 (tout comme Apollinaire et Stalag IIB), « Le singe de Hartlepool » est une fable tragi-comique sur la bêtise humaine et sur les ravages que peuvent causer le nationalisme aveugle et l’ignorance, quel que soit le camp dans lequel on se trouve. Son côté cruel est renforcé par le dessin très expressif de Jérémie Moreau. A noter que le récit imaginé par le scénariste Wilfrid Lupano s’appuie sur une légende bien réelle puisque les habitants de Hartlepool sont surnommés les « monkey hangers », les « pendeurs de singe ». Cela fait froid dans le dos!
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