La débâcle allemande vécue de l’intérieur
Poster un commentaire26 décembre 2014 par matvano
Moi René Tardi prisonnier de guerre au Stalag II B – Tome 2: Mon retour en France (Tardi – Editions Casterman)
On connait surtout Tardi pour ses bandes dessinées dures et réalistes sur la Première Guerre mondiale (« C’était la guerre des tranchées », « Putain de guerre »), qui ont de quoi dégoûter à jamais de toute tentation militariste. Il y a deux ans, Tardi se lançait à l’assaut de la Seconde Guerre mondiale, en publiant le premier des trois tomes de « Moi René Tardi prisonnier de guerre au Stalag II B ». Ce récit minutieux et très documenté constitue sans doute le projet le plus personnel du grand auteur français. Son scénario s’appuie en effet sur les carnets de guerre de son propre père, René Tardi, qui fut prisonnier des Allemands durant cinq longues années lors de la guerre 40-45. Il est finalement revenu vivant en France, comme le raconte le deuxième tome qui vient de paraître, mais en est ressorti profondément meurtri et amer. On s’en rend compte à travers le dialogue permanent qu’entretient René avec son fils tout au long de l’album. Pourtant, Jacques Tardi n’était pas encore né à l’époque (puisqu’il est né le 30 août 1946 à Valence) mais dans « Stalag II B », il se met en scène sous les traits d’un enfant qui suit son père à la trace… Une belle trouvaille scénaristique, car le petit Jacques s’indigne régulièrement face au comportement de plus en plus dur et désabusé de son paternel. Il n’hésite pas non plus à l’interpeller sur certaines incohérences de lieu et de temps dans les pages de son carnet (comme il s’explique sur son blog, Tardi s’est d’ailleurs rendu en Pologne et en Allemagne en 2013 pour voir de ses propres yeux les lieux décrits par son père). Ce dialogue père-fils permet également à Tardi de dire tout le mal qu’il pense du comportement de la plupart des militaires et civils durant la débâcle allemande de la fin de la guerre. Car « Mon retour en France » raconte de manière très détaillée, jour par jour et village par village, la longue marche des prisonniers du Stalag II B. Evacués par les Allemands à travers un pays dévasté, entre la crainte des Russes qui arrivent d’un côté et les Anglo-américains de l’autre, ils errent sans destination précise, dormant où ils le peuvent et mangeant mal et peu. Le tout sous des températures extrêmes, avec des garde-chiourmes de plus en plus nerveux au fil des jours. Même si on peut regretter que le texte prenne parfois le dessus sur le dessin, ce deuxième tome de « Stalag II B » constitue une fois de plus un témoignage d’une force exceptionnelle. Le talent de Tardi est de parvenir à faire ressentir à ses lecteurs toute l’horreur de la guerre, en soulignant au passage le niveau effarant de cruauté dont est capable l’être humain. La couleur joue un grand rôle dans la BD. Tant que René Tardi et les autres prisonniers errent sur les routes allemandes dans le froid et la boue, tout est gris. Mais petit à petit d’autres couleurs apparaissent: d’abord le rouge lorsque les soldats français se vengent sans aucune pitié sur leurs gardiens allemands, et ensuite toutes les autres couleurs lorsque René remet enfin les pieds en France. Mais on sent déjà que son retour à la vie normale sera loin d’être évident, après cinq ans de privations et de frustrations dans un camp allemand. Cet après-guerre sera le thème du troisième et dernier tome de « Stalag II B ».