Ces êtres invisibles qui nous pourrissent la vie
Poster un commentaire1 avril 2013 par matvano
Loin des yeux… (Luke Pearson – Editions Nobrow)
Dépressifs s’abstenir. Attention: en seulement quelques pages, l’auteur britannique Luke Pearson peut sérieusement vous plomber le moral. Dans « Loin des yeux… », un petit livre aussi dense que noir, il « étudie les derniers jours d’une relation amoureuse sur le point de sombrer, à travers ses non-dits, ses doutes et ses regrets ». C’est ainsi que l’histoire de la BD est résumée sur le quatrième de couverture. Mais en réalité, le récit est bien plus complexe et tourmenté que cela. Luke Pearson ne nous raconte pas seulement la séparation, somme toute assez banale, d’un couple. Il en profite aussi pour nous montrer toutes ces créatures invisibles qui nous entourent et qui influencent notre comportement de manière néfaste sans que l’on s’en rende compte. Un simple exemple: lorsque l’homme et la femme sont côte à côte dans leur lit et qu’elle ne veut pas faire ce dont lui a envie à ce moment-là, une ombre inquiétante « glisse ses doigts à travers le corps de l’homme, court le long de sa nuque jusque dans sa bouche, s’agrippe à ses molaires et à sa langue et forme les mots: t’es tellement chiante en ce moment ». Il n’en faut pas plus pour attiser le conflit… Quelques pages plus loin, ce sont des anurids, des petites bestioles à mi-chemin entre des aliens et des araignées, qui envahissent le salon de l’homme et la femme. Bien sûr, ceux-ci ne se rendent toujours compte de rien. Comme nous l’explique Luke Pearson, « les anurids sont maladivement fascinés par les êtres humains, ils sont toujours aux aguets. Presque chaque instant de votre vie a été minutieusement observé par les anurids ». Ca, c’est pour la partie fantastique du livre. Qui n’est finalement pas si fantastique que ça: tous les cerveaux humains ne sont-ils pas occupés en partie par ce type d’êtres malveillants, qui nous amènent parfois à voir tout en noir et qui monopolisent nos pensées? A côté de cela, la BD de Luke Pearson contient également des passages beaucoup plus terre à terre. L’auteur parvient avec beaucoup de talent à raconter tous ces petits actes manqués qui vont mener à l’inéluctable séparation des deux personnages: le réveil qui ne sonne pas à l’heure, le mail de réconciliation coincé dans la boîte spam, l’homme qui choisit de ne pas accompagner la femme à une soirée et qui la soupçonne ensuite de le tromper… A l’image du récit, qui est à mi-chemin entre le fantastique et le réel, le dessin aussi est à la fois enfantin et réaliste. Ce qui n’est pas tellement étonnant lorsqu’on sait que Luke Pearson s’était surtout fait remarquer jusqu’ici avec une série pour enfants (« Hilda »). « Loin des yeux… » marque son arrivée dans le monde de la BD plus adulte. Une entrée en matière qui vaut certainement le détour… à condition de ne pas trop craindre les idées noires.