Estelle, une infirmière (trop) attentionnée
122 janvier 2022 par matvano

La Dame Blanche (Quentin Zuttion – Editions Le Lombard)
Estelle travaille comme infirmière dans la maison de retraite « Les Coquelicots ». Dynamique et motivée, elle ne compte pas ses heures pour améliorer le bien-être des résidents et les aider à vivre au mieux leurs dernières années. Même les tâches les plus difficiles ne lui font pas peur. Comme la toilette mortuaire de Madame Suzanne, par exemple, une vieille dame qui vient de décéder et dont le corps est couvert de taches de vieillesse. La scène est à la fois drôle et tragique. Car en nettoyant le cadavre de la vieille dame pour la préparer à son ultime voyage, celle-ci lâche un gaz inattendu. « Le dernier souffle de la vie », glisse Sonia, la collègue d’Estelle, avant que les deux copines n’éclatent de rire. C’est souvent comme ça dans les maisons de retraite: on passe du rire aux larmes en quelques secondes. Juste après cet épisode, Estelle doit d’ailleurs affronter une nouvelle épreuve, celle du coup de fil à la famille de Suzanne. Malgré son chagrin, l’infirmière doit également continuer à s’occuper des autres résidents qui, forcément, accusent le coup après la disparition de leur amie. Pour Estelle, chaque décès est un moment difficile, car elle tisse des liens très forts avec les vieilles personnes. Alors, pour s’assurer de ne pas les oublier, elle garde un souvenir de chaque disparu: un peigne, une lettre de Scrabble, une broche, un stylo, un jeu de mots fléchés. Dans le cas de Suzanne, ce sont des boucles d’oreille. Cette drôle de manie caractérise bien le caractère ambigu d’Estelle: elle est tellement empathique avec les résidents des « Coquelicots » que souvent elle va trop loin, en n’hésitant pas à franchir certaines limites… Lorsqu’un vieil homme est triste parce que sa petite-fille ne vient plus le voir, par exemple, elle lui envoie des messages en se faisant passer pour sa petite-fille. Et lorsqu’une vieille dame, qui a été ouvrière toute sa vie, est persuadée d’avoir été ambassadrice de France à Prague, elle rentre totalement dans son jeu. De quoi irriter fortement la fille de la vieille dame, qui n’hésite pas à s’en prendre à Estelle…

Depuis quelques années, il y a de plus en plus de bandes dessinées qui traitent du sujet de la vieillesse et des maisons de retraite. L’année passée, il y a notamment eu le magnifique roman graphique « Ne m’oublie pas » d’Alix Garin, dans lequel une vieille dame s’échappe de sa maison de retraite avec sa petite-fille pour retrouver la maison de son enfance, ainsi que « Le plongeon » de Séverine Vidal et Victor L. Pinel, qui raconte le changement de vie radical d’Yvonne, une octogénaire qui choisit elle-même de troquer sa maison pour une chambre dans un EHPAD. Dans « La Dame Blanche », Quentin Zuttion opte pour un angle d’attaque un peu différent. Bien sûr, il parle des joies et des peines des personnes âgées qui vivent en maison de retraite, mais ce qui fait surtout la force de cette BD, c’est qu’elle constitue un magnifique hommage au personnel soignant, une profession essentielle dans notre société mais dont on parle finalement très peu. L’auteur a travaillé lui-même comme étudiant dans une maison de retraite et ça se sent parce qu’il relate de manière très humaine la vie quotidienne aux « Coquelicots », en évitant de tomber dans le simplisme ou le manichéisme. Le personnage d’Estelle, par exemple, est particulièrement intéressant parce qu’à travers elle, on suit de près les moments très intenses avec les résidents et les autres infirmières, tout en ressentant à quel point ce métier est physiquement et psychologiquement éprouvant. Clairement, les nerfs d’Estelle sont mis à rude épreuve. « La Dame Blanche » est une bande dessinée sensible et délicate. Son ambiance un peu particulière provient en grande partie du bleu très froid utilisé par Quentin Zuttion dans cet album. En même temps, le dessinateur ajoute aussi des touches de couleur dans sa BD. L’occasion pour lui de souligner qu’il y a encore des moments remplis de joie et de vie, même pour des gens mourants, perdus, abandonnés ou malades. « La Dame Blanche » est une BD bouleversante. L’un des romans graphiques les plus forts de ce début d’année 2022.
[…] Quentin Zuttion nous touche au coeur avec ce nouveau roman graphique. Coeur est le mot juste, car « Toutes les princesses meurent après minuit » parle de l’amour sous toutes ses formes. L’amour naissant, l’amour qui meurt, l’amour contrarié, l’amour pour une personne du même sexe, l’amour maternel, l’amour fraternel. En suivant de manière simple et sans fioritures le quotidien d’une famille comme les autres sur une période de seulement 24 heures, l’auteur parvient à raconter une histoire universelle: celle du désir d’aimer et d’être aimé. A l’image de la couverture de l’album, qui est d’une grande douceur, Quentin Zuttion fait preuve de beaucoup de délicatesse pour dépeindre les espoirs et les désillusions de Lulu, Cam et leurs parents. « Toutes les princesses meurent après minuit » est un livre faits de petits riens et de moments en apparence insignifiants. Mais en réalité, c’est un récit d’une grande profondeur car chacun des personnages de l’histoire se trouve à un tournant de son existence. Clairement, Question Zuttion a mis beaucoup de lui dans cette BD. Il s’est inspiré de sa propre soeur et de sa propre mère, mais aussi de l’enfant de huit ans qu’il a été et qui ressemblait certainement à Lulu. « Il en faut du courage et du tempérament pour être une princesse amoureuse quand on est un petit garçon », dit l’auteur. Dans ce livre très personnel, il a su trouver le ton juste pour parler de la découverte de l’homosexualité, mais aussi de cette fin de l’innocence par laquelle nous passons toutes et tous. Pour mettre en lumière ce récit familial d’une grande humanité, il opte pour des dessins aux traits délicats et des couleurs pastel chaudes et intenses. D’ores et déjà l’un des livres les plus forts de cette rentrée BD. […]