Le sourire de Mao (Jean-Luc Cornette – Michel Constant – Editions Futuropolis)

Qu’arriverait-il à la petite Wallonie si la Belgique devait un jour se séparer? La question effleure parfois les esprits lors de chaque nouvelle crise communautaire entre Flamands et Wallons, mais peu nombreux sont ceux à imaginer à quoi une Wallonie indépendante pourrait vraiment ressembler. D’où l’intérêt de la BD « Le sourire de Mao », un étonnant récit de politique-fiction signé Jean-Luc Cornette et Michel Constant. Les deux auteurs belges se projettent dans un futur que l’on imagine pas si lointain pour nous plonger dans une inquiétante République Démocratique de Wallonie. Dans un contexte de crise économique encore plus marqué qu’aujourd’hui, ce nouvel Etat est dirigé par le président Francis Delcominette. A priori, celui-ci ressemble à certains véritables politiciens wallons, à savoir qu’il est sympathique, jouisseur et proche du peuple… tout en étant assez peu préoccupé par la morale ou l’éthique. Mais à y regarder de plus près, on découvre que ce Delcominette, qui se fait appeler le « Capitaine » et qui aime apparaître tous les soirs à la télévision, est un fasciste en puissance, plus proche de Kim Jong-un que de Michel Daerden. La preuve: il a l’idée saugrenue d’acheter à prix d’or au gouvernement chinois la dépouille de Mao Tsé-Toung afin d’en faire la pièce maîtresse de l’Espace Espoir, un nouveau musée qu’il veut construire à la gloire de la Wallonie. Plus inquiétant encore: il rêve d’une politique particulièrement répressive vis-à-vis des petits délinquants. Et évidemment, comme dans tout Etat totalitaire qui se respecte, il fait en sorte que ceux qui osent critiquer le pouvoir en place soient dénoncés et poursuivis. Pour cela, il peut compter sur l’aide efficace des « Fauves de Hesbaye », un mouvement de jeunesse féminin qui fait davantage penser aux jeunesses hitlériennes qu’à des guides. Ludmilla, l’héroïne principale du récit, est membre des « Fauves de Hesbaye ». Avec ses amies Manon et Aurélie, elles comptent parmi les plus ferventes supportrices du « Capitaine » Delcominette. Ce qui n’est pas le cas d’Enzo et Antoine, les deux autres protagonistes principaux, beaucoup plus critiques envers le régime. Hasard ou coïncidence, tous deux se retrouvent en centre de rééducation après des incidents assez similaires: l’un et l’autre ont en effet tiré sur des membres des « Fauves de Hesbaye » et des « Combattants de Liège » (l’équivalent masculin des « Fauves ») à l’aide d’un pistolet qu’on leur a mis entre les mains. Sans le savoir, Ludmilla, Enzo et Antoine vont ainsi se retrouver au coeur d’un complot qui va rapidement les dépasser. En lisant « Le sourire de Mao », on en ressort avec des sentiments partagés vis-à-vis de la démarche de Cornette et Constant. D’un côté, on se dit que leur vision d’une future Wallonie fasciste est tout de même assez peu crédible: cela paraît vraiment trop gros pour être vrai. D’un autre côté, on ne peut que partager leur inquiétude par rapport à la dérive dangereuse que peut entraîner le cocktail explosif formé par le nationalisme, l’ignorance et la crise économique. Que ce soit en Wallonie, en Flandre ou dans toute autre région du monde. A défaut d’être pleinement convaincante, la BD « Le sourire de Mao » vaut donc clairement la peine d’être lue, ne fût-ce que pour l’originalité et la pertinence de son thème.